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Territoires urbains en mutation

Resilience

Territoires urbains en mutation

Les mégalopoles apparaissent comme des avant-postes du désastre environnemental. Paradoxalement, elles regorgent d’ambitions et de solutions comme un laboratoire de recherches, où penser la cité c’est essayer de mieux comprendre comment la société se regarde et se considère.

 

Questions à Roland Vidal*, ingénieur en Génie Rural

SH : Vous faites partie des chercheurs qui imaginent la ville du futur, une ville globale qui intègre les initiatives locales de demain. Quelles sont les villes émergentes et comment relier ces initiatives pour que la Nouvelle Ville fasse système ?

RV : Mon activité de chercheur ne consiste pas à « imaginer la ville du futur », mais à contribuer à éclairer la construction du monde de demain. La ville n’est qu’une des composantes de ce monde, et celles d’entre elles qui se veulent vertueuses en ignorant les territoires qui subissent leurs externalités négatives ne font pas partie des modèles que je cherche à mettre en valeur.
Pour moi, « la résilience ne se raisonne pas à l’échelle de la ville mais à celle de la « région urbaine », concept que je n’entends pas en termes de gouvernance mais en termes d’aire de consommation, notamment alimentaire et énergétique ».
Or en ne considérant que la dimension alimentaire, cette aire est beaucoup plus vaste qu’on ne le pense en général. Si la ville de Paris, par exemple, était en mesure de nourrir sa population avec les terres agricoles de l’Île-de-France (au prix de quelques restrictions alimentaires tout de même), la population francilienne, elle, nécessiterait un territoire qui s’étendrait sur une surface 6 fois plus grande (globalement de la Normandie à la Champagne et de la Picardie à la Région Centre, soit un cercle d’approximativement 200 km de rayon).

Je ne connais pas de ville française qui raisonne à cette échelle…
Ce que je vois le plus souvent, et notamment à Paris, c’est une volonté de préserver des terres agricoles au sein des tissus urbains, pour le bénéfice de quelques-uns, et en refusant de voir qu’on accélère ainsi un étalement urbain qui, lui, consomme bien plus de terres agricoles, mais beaucoup plus loin… là où la ville centre ne regarde pas.

SH : La pensée économique traditionnelle encourage l’efficacité maximale, tandis que le concept de résilience favorise les politiques qui permettent de mieux faire face aux chocs écologiques, aux chocs du marché ou aux chocs liés à des conflits. Que vous inspire la résilience ?

RV : La pensée économique actuelle n’encourage pas tant l’efficacité, ce qui pourrait être le propre d’un service public, que le profit qui, dans la logique dite « libérale » va dans le sens des intérêts privés et, consécutivement, d’une aggravation des inégalités sociales. Or c’est précisément cette inégalité de répartition des richesses qui est le facteur premier de dégradation de notre environnement, laissant indifférents ceux qui en profitent le mieux puisqu’ils ont les moyens de se protéger de ces « chocs » dont vous parlez. 
Les plus démunis dans les territoires pollués et dégradés, les riches dans les territoires préservés : c’est déjà comme cela que se dessine la carte de bien des régions urbaines.
La résilience ne sera réelle que lorsqu’elle passera par une réduction globale de la consommation (la « décroissance », dirait Serge Latouche). Or comme on ne peut guère demander aux plus pauvres de consommer encore moins, il faudra bien passer par une réduction des inégalités… ce qui n’est pas la tendance actuelle, et certainement pas le credo de ces milliardaires qui financent les discours incantatoires de ceux qui prônent une sobriété qu’ils n’appliquent pas à eux-mêmes.

SH : Il existe une forme relictuelle de maraîchage urbain.  Peut-elle être le point de départ d’une nouvelle organisation des territoires telle que l’imaginent les locavores ?

RV : Les formes de maraîchage urbain que j’observe aujourd’hui n’ont rien de relictuel, elles sont des créations nouvelles. Peut-être s’inspirent-elles de cette ceinture maraîchère qui a approvisionné nos villes jusqu’au milieu du XIXe siècle, mais en oubliant que celle-ci ne nourrissait correctement qu’une minorité de privilégiés, laissant les autres se contenter d’une espérance de vie trois fois inférieure à celle d’aujourd’hui. En oubliant aussi que les populations urbaines étaient dix fois moins importantes que maintenant.
C’est le chemin de fer, connecté aux gares parisiennes, qui a permis d’améliorer considérablement l’alimentation des Parisiens. Les pêches de Montreuil fort appréciées de Napoléon III avant de finir leur carrière chez Fauchon- comme les fruits et légumes du Potager du roi, ne nourrissaient que les classes aristocratiques et bourgeoises. C’est avec le train que la plupart des Parisiens ont découvert le goût de ces fruits qui poussent mieux au soleil que dans la grisaille francilienne. Ce qui importe aujourd’hui, ce n’est pas de compter les kilomètres parcourus, c’est d’évaluer l’impact environnemental complet d’un système de production et de distribution (ce qu’on appelle les analyses de cycle de vie - life cycle assessment).

C’est plus complexe, donc moins médiatique, mais ça révèle que la proximité entre lieu de production et lieu de consommation n’est pas le critère le plus important, loin de là.

De nombreuses études l’ont montré, c’est la production qui consomme le plus d’énergie. Quant au transport, qui représente entre 10 et 15 % de l’impact environnemental, c’est celui que pratique le consommateur en allant de chez lui au point de vente qui en représente la part la plus importante.

Optimiser les systèmes de production, développer les modes de transports les moins polluants (le train plutôt que le camion, le camion plutôt que la camionnette, la camionnette plutôt que la voiture…), et rapprocher les lieux de vente des lieux de vie, voilà donc ce que devraient être les objectifs d’une ville résiliente…Même si cela amène à la conclusion qu’il vaut mieux cultiver les tomates au soleil et les transporter vers les villes au climat moins favorable plutôt que s’obstiner à vouloir les cultiver sur place.

SH : Vous parlez d’agriculture contemporaine, quelles sont ses grands axes ?

RV : Tous les systèmes agraires qu’a connu l’humanité depuis l’invention de l’agriculture sont arrivés, à un moment donné de leur histoire, à un point d’épuisement qui a nécessité l’invention d’un nouveau système. Le système actuel, appuyé sur des ressources non renouvelables, ne fait pas exception.

Le virage agroécologique prôné par les politiques actuelles se veut la réponse à cet épuisement. Le retour de l’arbre dans les champs, le développement de l’agro-énergie, la diversification des assolements (l’agro-diversité), le rapprochement de l’élevage et des grandes cultures, l’application de l’écologie scientifique à l’agronomie (les corridors au service de la lutte intégrée), sont autant de pistes qui devront être soutenues avec un peu plus de vigueur qu’aujourd’hui si l’on veut que notre agriculture devienne résiliente. Mais ces pistes n’ont de sens que si on traite la question, encore une fois, à la bonne échelle. Pour cela, il ne faut pas oublier que le maraîchage ne représente qu’une toute petite partie des surfaces agricoles nécessaires à notre alimentation (peut-être 5%). Ce qui nourrit les populations, ce sont toujours les grandes cultures (et en France principalement le blé) et ces cultures-là ne sont pas à l’échelle de ces « micro-fermes », urbaines ou non, qui séduisent les citadins.

L’agroécologie est une science complexe, la plus complexe de toutes les sciences dirait Michel Serres, trop complexe pour les documentaires médiatiques qui présentent une agriculture idéalisée propre à produire de bons résultats d’audimat : l’écologie est une science complexe qui donne lieu, dirait le même Michel Serres, aux discours les plus simplistes. De fait, les messages diffusés par les médias ont pour effet d’aggraver le fossé qui se creuse entre le monde citadin et le monde agricole, fossé dont s’inquiétaient encore récemment, dans un même discours, Nicolas Hulot et Stéphane Travert.

Roland Vidal est docteur de l’ENGREF en Sciences de l’environnement et ingénieur de recherches à l’École Nationale Supérieure du Paysage de Versailles 
(ENSP).

Ses activités d’enseignement et de recherche portent sur les territoires d’interface entre la ville, l’agriculture et les espaces naturels, notamment dans les zones rurales sous influence métropolitaine. Il anime, depuis une douzaine d’années et en collaboration avec Luc Vilan, architecte, urbaniste et enseignant-chercheur, un atelier portant sur cette thématique à l’École d’architecture de Versailles (ENSAV).

Il co-dirige à l’ENSP le master « Théories et démarches du projet de paysage » et enseigne également à AgroParisTech.

Il a publié notamment Quel avenir pour l’agriculture biologique et L’agri urbanisme aux éditions UPPR (Toulouse) ainsi qu’une centaine d’articles consultables sur son site
rolandvidal.fr 

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