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Le Kintsugi
Le Kintsugi
Le Kintsugi

Resilience

Le Kintsugi

L’art de la résilience

Rencontre avec Myriam Greff, restauratrice d’art et spécialiste du Kintsugi

 

 

Sonia Henry : Le livre de Céline Santini vient de paraitre : « Le kintsugi, l’art de la résilience ». Art qui répare nos blessures. Il y a ici une dimension presque philosophique. La retrouve-t-on dans votre travail ?

Myriam Greff : Tout à fait ! J'ai été très heureuse que Céline choisisse mon travail pour illustrer son livre qui rencontre un véritable succès. Le kintsugi est un art à mettre en parallèle avec la résilience. Les deux processus sont très semblables. En choisissant de ne pas cacher les cassures, on les accepte et on décide d'en faire quelque chose de différent mais aussi de potentiellement plus beau. C'est un nouveau départ : nouvelle apparence, nouveau mode de fonctionnement. On donne un sens positif à l'accident, on découvre l'art de patience dans sa reconstruction. On apprend à prendre le temps mais surtout à prendre soin. On ne se tourne pas vers le kintsugi par hasard. Quand je reçois un objet à l'atelier, j'accueille une histoire personnelle, souvent émouvante.

SH : Expliquez-nous la technique du kintsugi qui semble par ailleurs très subtile et délicate ?

MG : Le kintsugi (littéralement "jointure à l'Or") est une technique ancestrale japonaise inventée par les maitres laqueurs pour restaurer les céramiques brisées. Elle met en valeur les altérations et lacunes contrairement à la technique illusionniste qui prévaut en occident. L’œuvre reprend vie tout en embellissant les accidents dus à son passé. Pour réaliser un beau kintsugi, les étapes sont nombreuses, longues et fastidieuses. On commence par recoller les tessons ensemble avec une colle de riz mélangée à de la laque du Japon, on nomme cette pâte Nori-Urushi. Le séchage prend 8 jours, dans une chambre humide, que l'on nomme Muro. Les moindres aspérités dues aux fêles ainsi que les lacunes doivent être rebouchées avec un mélange de laque et de tonoko (poudre argileuse) qui s'appelle Sabi. L'œuvre reprend son séchage en chambre humide pour 24 à 48h. Viennent ensuite les couches de laques noires successives (Roiro-Urushi) pour lisser les surfaces. Chaque séchage est effectué au sein du muro pendant au moins 24h, et toutes les couches sont poncées à l'aide de charbon de Magnolia ou de poudre de corne de cerfs mélangée à de l'huile. L'ultime couche est rouge, c'est le bengara-urushi.

 

Légende : Technique Kintsugi, Myriam Greff, Atelier Kintsugi

Il va servir à faire adhérer la poudre d'or que l'on va soupoudrer à un moment précis: le bengara doit être ni complètement sec, ni trop humide. On peut ensuite polir l'or, et mettre une couche de laque de finition si nécessaire.

SH : Il y a aujourd’hui une forte pression liée aux enjeux écologiques. Les matériaux utilisés sont-ils respectueux de notre environnement ?

MG : C'est pour moi une des grandes qualités du Kintsugi : tous les matériaux sont naturels et respectueux de l'environnement. C'est aussi la seule restauration qui permet un réemploi de l'objet car la laque est d'usage alimentaire après séchage (avant séchage complet elle est extrêmement allergisante). J'utilise l'urushi qui est une sève, le tonoko (une poudre argileuse), l'or ou l'argent en poudre, l'amidon de riz, le charbon, la poudre de cornes. Je prépare quasiment tout moi-même. On peut même fabriquer sa propre poudre d'or afin d'obtenir la granulométrie qui nous convient le mieux. La laque est une technique millénaire qui se passe complétement de la pétrochimie. Les objets restaurés sont adaptés à un usage ancestral également, c'est à dire qu'ils ne passent ni au lave-vaisselle, ni au micro-onde. Le kintsugi est un art de la patience et de la méticulosité, et celle-ci doit perdurer lors de la réutilisation des objets. Ce n'est pas adapté aux personnes pressées.

 

SH : N’y a-t-il pas finalement une forme d’humanisme dans la résilience ?

MG : Je dirai même qu'il y a des formes d'humanismes dans la résilience. Ce mécanisme incroyable qu'ont en commun les éco-systèmes et l'être humain permet d'axer l'évolution dans un sens positif. Sans résilience, nous serions en guerre permanente. On ne peut pas vivre positivement sous la loi du Talion, il faut apprendre à pardonner et surtout à se pardonner pour pouvoir prendre un nouveau départ. La résilience replace l'homme au centre de son propre destin : il n'est plus l'objet mais le maître de ses choix et de son avenir. J'entends souvent "si je vous avais connu avant, je n'aurai pas jeté " ceci ou cela. C'est très positif car cela montre bien que nous sommes en train de changer nos modes de consommations et que nous voulons redevenir acteur de notre bien-être commun.

 

Legende : La préparation du bengara-urushi nécessite 4h, Myriam Greff, Atelier Kintsugi

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